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Culture

L’art de raconter le monde de Magali Le Huche

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La médiathèque Charles-Gautier-Hermeland accueille jusqu’au 8 novembre une exposition consacrée à l’autrice et illustratrice Magali Le Huche. Connue pour ses albums jeunesse et ses bandes dessinées pleines d’humour et de tendresse, elle revient sur son parcours, son goût pour l’absurde et la puissance de l’imaginaire.

Comment le dessin est-il entré dans votre vie ?

Je crois que j’ai toujours aimé ça. Mes parents m’ont inscrite à un cours de dessin quand j’avais quatre ans, et je l’ai suivi jusqu’à mes dix-huit ans ! En fait, je n’aimais pas beaucoup l’école. J’ai toujours préféré illustrer les poésies plutôt que de les apprendre. Le dessin m’a permis de me faire une place où je me sentais bien et… pas trop nulle ! Je me racontais des histoires en dessinant. C’est devenu mon petit monde.

Pourquoi avoir choisi la littérature jeunesse ?

Au lycée, j’avais une bonne copine avec qui je dessinais et un jour, nous avons replongé dans les albums jeunesse de notre enfance dont j’avais des souvenirs très forts. Avec le recul, j’ai compris leur puissance : certaines histoires qu’on lit petit ne nous quittent jamais. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie d’en inventer à mon tour, d’écrire et de dessiner pour les enfants. Ce que j’aime, c’est qu’ils se fichent complètement de savoir qui je suis. Ce qui compte pour eux, c’est le livre, les personnages. Et c’est très bien comme ça. Parfois, en dédicace, ils sont même un peu perturbés de découvrir la personne derrière le dessin.

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Jean-Michel, le caribou est l'un des personnages créés par Magali Le Huche. Un super-héros qui a peur, qui doute mais terriblement attachant. (c)DR

Quels livres ont marqué votre enfance ?

Longtemps, je n’ai pas réussi à lire des livres sans images. Ce qui me complexait beaucoup ! Encore aujourd’hui, j’ai besoin de me représenter les personnages, leurs voix, le décor… quand je lis un roman ! Enfant, j’ai été marquée par La potion magique de Georges Bouillon, de Roald Dahl et Quentin Blake, ou On n’a pas sommeil, de James Stevenson. Je croyais complètement à l’histoire. Quand j’ai compris que tout était inventé, j’ai eu une sorte de déception.

Comment travaillez-vous entre écriture et illustration ?

Il faut qu’il y ait une histoire. Le dessin vient nourrir le récit, mais je ne commence jamais par une image. Au début, c’est un ping-pong entre le texte et le dessin : je crayonne pour chercher, pour sentir une émotion ou une posture. Une fois que l’histoire et le récit sont bien échafaudés, je peux m’attarder sur l’aspect esthétique ou graphique. C’est un petit théâtre en 2D dont j’assurerai la mise en scène. C’est comme une matière qu’on modèle sans cesse. Lorsque j’adapte les écrits de quelqu’un d’autre, je m’interroge sur ce que l’image peut dire mais que le texte ne dit pas.

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Dans Nowhere Girl, Magali Le Huche raconte sa phobie scolaire et la manière dont elle s’est réfugiée dans le monde des Beatles.

Phobie scolaire dans Nowhere girl, capitalisme et dictature dans Jean-Michel, le Caribou, comment choisissez-vous les thèmes de vos albums ?

J’aime raconter le monde à travers l’absurde, en le simplifiant, en le ridiculisant parfois. Ça me permet d’aborder des thèmes qui me touchent. Je n’ai pas envie de faire de la pédagogie. Mon envie, c’est qu’on puisse rire des choses de la vie. J’aime les failles, les personnages à côté, les petits héros du quotidien. Ce sont eux qui me touchent le plus, ceux qui transforment leurs faiblesses en force. Dans Jean-Michel le Caribou, par exemple, c’est un super-héros, mais il a peur, il doute, et c’est ce qui le rend attachant. Quand je dessine, j’ai besoin de m’attacher à mes personnages, de sentir leur fragilité.

Quels messages ou émotions espérez-vous que les visiteurs emportent avec eux après avoir vu cette exposition ?

De l’énergie ! Quand je travaille, je suis seule, et c’est ce que j’aime. Mais quand le livre est terminé, j’ai l’impression de lancer une petite bouteille à la mer. J’espère qu’elle fera du bien, qu’elle donnera envie de dessiner, d’imaginer. Parce qu’on en a besoin. Le dessin, c’est une manière d’être au monde. Et l’humour, une manière de le traverser. Indéniablement.

La BD, une planche de salut

Magali Le Huche écrit aussi pour les grands. Dans sa dernière bande dessinée, Punk à seins, sortie en octobre, elle raconte son cancer du sein, découvert à l’aube de ses 40 ans. « Ma première arme pour y faire face a été l’humour. Comment le dire à mes proches ? Raconter quelque chose de grave avec humour, ça rassure. Découvrir cette maladie est une telle déflagration… que j’y ai vu de l’absurde. J’ai eu besoin d’en faire quelque chose, de le partager, de raconter le parcours de mes copines aussi. Sans doute pour rendre l’épreuve plus supportable. » Elle transforme l’épreuve en un manifeste joyeux traversé par les riffs de guitare de Joe Strummer (chanteur punk du groupe britannique The Clash)…

Punk à seins, Editions Dargaud.